Les deux annexions de l’Alsace-Moselle : 1871 et 1940 (7/14)

Première inconnue

Mon frère qui avait été embauché comme employé de bureau à la mine Teyrat à Messeix, allait-il retrouver une situation équivalente en Moselle allemande ? Cet emploi fut pour lui une promotion qui avait mis fin à des années de désillusions. Excellent élève à l’école primaire, ses instituteurs avaient vivement conseillé à mon père de l’envoyer au collège à Forbach. Mais, mon père, à tort ou raison, avait rétorqué de ne pas avoir les moyens financiers pour faire face aux frais que les études au collège entraîneraient et ce malgré la gratuité de la scolarité. Il est vrai que la crise économique sévissait alors et que la sécurité de l’emploi devenait incertaine. Toujours est-il que mon frère, comme la plupart de ses camarades d’école, titulaires du certificat d’études primaires, allait travailler au criblage à la mine, à l’âge de 14 ans.
En juin 1940, mon frère avait seize ans. Il était hors de question qu’il restât seul à Messeix. Avec les autres membres de la famille, il a donc pris le chemin du retour. Si mes parents avaient alors su que quelques années plus tard, mon frère allait être incorporé de force dans la Wehrmacht, auraient-ils pris la décision de rester ? Je céderais à la facilité, si je répondais sans hésitation par l’affirmative. Il serait vain de prétendre donner une réponse objective à cette question, sans analyser l’état d’esprit de l’ensemble des familles concernées par ce problème.
L’annexion par l’Allemagne en 1871 du territoire actuel du département de la Moselle, avait été subie pour finalement être tolérée voire acceptée par les Lorrains, sauf par ceux habitant les régions francophones. En quarante-sept années d’annexion, la culture dans cette région frontalière avec l’Allemagne, n’était plus française, mais allemande. Cette culture allemande était celle de l’Allemagne impériale, mais nuancée par la diversité des régions. Malgré l’unité allemande, enfin réussie par Bismarck en droit, mais pas vraiment dans les faits et les esprits, chaque région de l’Allemagne avait conservé son identité culturelle. L ‘enseignement en Lorraine annexée, était de nature prussienne, sans que l’on puisse la marquer d’une connotation péjorative. La discipline et le respect de l’autorité politique faisaient partie des vertus lorraines. Enfin l’Allemagne du Kaiser n’était pas l’Allemagne de Hitler. De Hitler et du nazisme, ces évacués qui n’était ni des expulsés, ni des réfugiés politiques n’avaient-ils alors qu’une vague idée ou préféraient-ils ne pas trop en parler ?
Et puis, la mine serait toujours là et la famille de Wendel aussi. Les Wendel, les patrons sont bien restés en 1871 et ils ont connu une rare prospérité durant l’annexion ! Ils sauront bien trouver une solution pour que tout reste en place. Et le logement et le mobilier qui sont restés là-bas ? Pouvait-on abandonner tout cela pour des raisons politiques ?
Le choix fait par ces Lorrains évacués de retourner en 1940 chez eux en Moselle, même annexée par les Allemands, était dicté par ce qu’ils pensaient être le bon sens et leur foi dans la Providence. Ce choix ne relevait ni de la bravade, ni du goût du risque. Au demeurant, la nostalgie du pays natal était telle, qu’elle serait venue à bout de tous les arguments qui auraient plaidé pour une autre solution.

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