L’Annexion (1940)
La famille de ma mère, les Becker, Kremer, Hammer étaient des autochtones lorrains, contrairement aux Barthen qui étaient allemands. Les autochtones lorrains sont devenus allemands à la suite de l’annexion d’une partie de l’ancien département français de la Moselle par l’Allemagne, en vertu du traité de Francfort du 10 mai 1871. Les lorrains de souche ont été réintégrés dans la nationalité française après le recouvrement par la France à la fin de la première guerre mondiale des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, mais ce n’est pas le cas des Allemands venus habiter dans ces départements après 1871. Ils ont conservé la nationalité allemande. Pour devenir français, ils devaient se faire naturaliser.
Ma mère Jeanne Becker est donc redevenue française par réintégration, contrairement à mon père Joseph Barthen qui est resté allemand jusqu’à sa naturalisation en 1928.
En 1921, Joseph Barthen, ouvrier-mineur et Jeanne Becker, ouvrière d’usine – elle était ouvrière d’usine depuis l’âge de treize ans , en dernier aux Etablissements Adt à Forbach-, tous deux âgés de 23 ans, pour être nés en 1898, se sont mariés civilement et religieusement en 1921 à Stiring-Wendel.
De leur union sont issus trois enfants : Marcel, né en 1923, Maria, née en 1929 et moi-même, prénommé Joseph, comme mon père et mon grand-père, né le dimanche 25 avril 1937, au plus fort du Front Populaire, et après plusieurs années de crise économique qui avaient profondément marquées les habitants de Stiring et de Petite-Rosselle, chaque mineur s’attendant tous les jours à être licencié.
Comme je suis né un dimanche, on me citait souvent dans la famille le dicton allemand : Sonntagskind, Glückskind Enfant du dimanche, enfant chanceux.
Le début de la deuxième guerre mondiale, l’évacuation
Mes premiers souvenirs, quoique très flous, se situent en Auvergne.
A la veille de la déclaration de guerre, le premier septembre 1939, les habitants des territoires situés entre la frontière et la Ligne Maginot furent évacués. Ainsi, les habitants de Stiring-Wendel et des localités situées près de la frontière allemande ont été évacués : les uns dans le Pas-de-Calais, les autres en Charente. Dans ses Mémoires d’un Mosellan du Bassin Houiller, mon frère Marcel décrit dans son tome 2 intitulé L’exode 1939 et le retour fin 1940 le détail du calvaire enduré par toutes les familles de Stiring durant le voyage pour arriver en Charente et une fois arrivés des difficultés rencontrées pour une implantation correcte dans les petits villages de ce département. Pour les besoins de mon propos d’aujourd’hui, je me tiens à ce que j’ai écrit dans mon essai TROIS DE 37 :
… Comme mon père était mineur et que la quasi-totalité des hommes en âge d’être mobilisés était partie à la guerre, ce métier était très recherché. C’est ainsi que le directeur d’une des mines de charbon de Messeix, village du Puy-de-Dôme, situé aux confins de l’Auvergne et du Limousin, avait fait le déplacement en Charente pour proposer du travail aux mineurs originaires de Lorraine. Mes parents, avec leurs trois enfants, ont donc pris le train pour Messeix.
La direction de la Mine nous a logés dans des baraques en béton. Lors de mon dernier passage à Messeix, il en restait encore deux, les autres ont été démolies. Le puits Teyrat n’existe plus aujourd’hui et le puits Saint-Louis est devenu un musée.
Quand ma mère évoquait ces baraques, sans aucun confort, je m’imaginais toujours que tout le village était constitué par ces baraques. Il n’en est rien, car comme à Stiring et Petite-Rosselle, il y avait une cité ouvrière, formée de maisons, soit individuelles, soit mitoyennes, avec des jardins. Mais ces logements n’étaient pas pour nous.
Il n’est donc pas étonnant qu’après l’armistice en juin 1940, les familles de ces mineurs n’aient eu qu’un souhait : rentrer le plus rapidement possible chez eux en Lorraine, tout en sachant qu’ils seraient de nouveau Allemands. Français jusqu’en 1871, Allemands suite à l’annexion de 1871 à 1918, Français de 1918 à 1940, Allemand, suite à la réannexion en 1940. A la grâce de Dieu qui assurera notre protection, va pour l’Allemagne. Là au moins nous pourrons nous exprimer, car l’allemand est notre langue et ici aucun Auvergnat ne nous comprend.
Mes parents qui ne parlaient le français ni l’un ni l’autre et l’écrivaient encore moins, n ‘avaient qu’une hâte : retourner chez eux.
Seulement, il y avait deux inconnues.