Les deux annexions de l’Alsace-Moselle : 1871 et 1940 (4/14)

Ceux qui sont partis en Algérie

Tous les émigrés d’Alsace-Lorraine n’avaient pas de fortune personnelle, même minime. Certains n’avaient pas un sou vaillant. Que faire et où aller dans ce cas si on n’est pas accueilli dans la famille et chez des amis qui sont souvent dans la même situation financière ?
Les journaux faisaient alors grand état des dispositions de la loi Belcastel (du nom du député ayant déposé le projet de loi) du 21 juin 1871 qui concède 100.000 hectares de terres en Algérie aux Alsaciens-Lorrains. Les conditions d’attribution sont les suivantes :
Tout arrivant qui possède 5.000 francs devient propriétaire de 40 hectares sans conditions. Mais comme la plupart des postulants ne possédaient pas cette somme et souvent rien du tout, un décret du 16 octobre 1871 a élargi les conditions d’attribution :
Tous les Français (et pas seulement les Alsaciens-Lorrains) peuvent être concernés, quelle que soit leur origine, avec ou sans argent. Dans ce dernier cas, l’Etat exige d’eux, pour obtenir des titres de propriété définitifs, outre une mise en culture effective, qu’ils résident sur leur concession au moins pendant neuf ans, ramenés par la suite à cinq ans, et même trois ans s’ils justifient d’une dépense moyenne de 100 francs par hectare. En attendant, ils seront redevables d’un loyer annuel symbolique d’un franc par hectare.
Malgré la sélection faite dans deux centres organisés l’un à Nancy et l’autre à Belfort, on s’aperçoit vite que dans la masse des candidats-colons, seuls 10% sont des agriculteurs.

Et tous ceux qui sont devenus allemands


C’est l’immense majorité.
Comment pourrait-il en être autrement ?
Tout le monde n’a pas l’esprit d’aventure et pour la plupart, il valait mieux vivre sa misère –si misère il y a- sur place, dans son pays, que d’aller chercher une aléatoire fortune ailleurs avec le risque de tomber encore plus bas dans le degré de la pauvreté.
Et puis, il y avait la langue.
Les Alsaciens étaient dans la quasi-totalité germanophones, en exceptant le canton de Saales, nouvellement rattaché où les habitants parlent le français. Il en est de même pour le canton de Sainte-Marie-aux-Mines. Le dialecte alsacien est d’essence germanique et appartient à l’alémanique. Belfort et sa région étaient francophones. Or, le Territoire de Belfort est resté à la France.
En Moselle, les habitants de Metz et des nombreux cantons alentour étaient francophones. Ils ne parlaient que le français ou un dialecte français propre à la région. Il en est de même pour les communes de l’arrondissement de Château-Salins. Pour celles de l’arrondissement de Sarrebourg, c’était plus mitigé. Telle commune était francophone, telle autre germanophone. Nous trouvons la même situation dans la vallée de la Moselle et de la Fensch en allant vers le Luxembourg. Le dialecte allemand, dans cette région, se rapproche du luxembourgeois. Dans l’est du département et tout le long de l’ancienne frontière avec l’Allemagne, les habitants ne parlent que l’allemand ou le dialecte allemand qui appartient au francique. Ce dialecte est, à très peu de choses près, celui que l’on parle à Sarrebruck.

Le destin de ceux qui sont restés


Ceux qui sont restés sont devenus allemands et ont été soumis aux lois allemandes.
Le service militaire avec le drill prussien était certainement ce qui a été le plus dur pour les jeunes gens. Mais avec le temps s’est établie une certaine résignation et pour quelques-uns, avoir servi l’empereur Guillaume devenait une référence et même une fierté, notamment ceux qui ont fait leur service militaire dans la garde de l’empereur. On n’est pas devenu prussien, mais à défaut de se dire français, on était lorrain ou alsacien et fier de l’être.
Les ouvriers ont suivi leurs employeurs. Il en est ainsi en Moselle des sidérurgistes de Stiring, Hayange, Moyeuvre et des mineurs des houillères de Petite-Rosselle, le tout appartenant à la maison de Wendel. Quand Charles de Wendel s’éteint en 1870, quand la nuit de l’annexion tombe sur la Moselle, le capital de la Maison de Wendel est de 23,5 MF, le chiffre d’affaires de 31,6 MF, la production de fonte est de 134 500 tonnes, celle de fer et d’acier : 112 500 t. Ce qui fait de Wendel la première entreprise de France devant le Creusot et Marine(13).Devant une situation aussi prospère, inutile et impossible d’émigrer. Pour rester en étroite collaboration avec la France, les Wendel construisent une usine à Joeuf, premier village après la nouvelle frontière, resté à la France avec l’arrondissement de Briey. Cette usine deviendra opérationnelle en 1882. Joeuf connaîtra un développement extraordinaire, comme l’a connu Hayange et les mines de Petite-Rosselle. Au temps de l’annexion, nous relevons une situation cocasse : Charles de Wendel, resté en Moselle fut député du Reichstag et François de Wendel est devenu député français.
Bismarck n’a pas aboli le concordat de 1801 et laissait subsister les lois Guizot et Falloux à la grande satisfaction du clergé.
Les écoles continuaient à être des écoles confessionnelles et l’enseignement était prussien. Il s’agissait d’un enseignement dont la valeur morale essentielle consistait à se satisfaire de ce que l’on a, de savoir garder le juste milieu et de vénérer Dieu, l’Empereur et l’Eglise. Cet enseignement donnait pleinement satisfaction à l’autorité politique et au patronat, qu’il soit allemand ou annexé. En fait, le paternalisme continuait comme par le passé.
Le statut scolaire et religieux n’a pas été modifié dans les trois départements à leur retour à la France en 1918 et est resté inchangé en 1945, avec le retour à la France après la réannexion par l’Allemagne nazie.
La loi du 1er juin 1924 qui a introduit les lois françaises dans les trois départements recouvrés, a laissé subsister toute l’organisation judiciaire allemande, notamment le Livre Foncier tenu par les tribunaux cantonaux devenus depuis les tribunaux d’instance sous le contrôle d’un juge du Livre Foncier, la compétence des tribunaux pour établir les qualités héréditaires par le certificat d’héritier, la procédure des saisies, ainsi que le statut des officiers publics et ministériels. Est également restée en place la législation des mineurs et de la tutelle. La France a d’ailleurs introduit dans le code civil les caractéristiques de cette loi, en 1964. Les institutions de sécurité sociale introduites en Allemagne et en Alsace-Moselle dans les années 1880 sont restées en place. On peut donc dire que l’Allemagne était en avance dans ce domaine sur la France de plus de soixante années.

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