Les deux annexions de l’Alsace-Moselle : 1871 et 1940 (14/14)

Six mois de cave, trois mois de front et la libération le 13 mars 1945

Du 6 octobre 1944, date des bombardements de la Sarre jusqu’au 13 mars 1945, date de la libération de Vieux-Stiring, nous avons vécu dans les caves, surtout les trois derniers mois à compter de la mi-décembre 1944. Nous pouvons dire que nous avons vécu sur le front. Tous les jours des morts et des blessés parmi la population civile dus aux tirs d’artillerie. Mon père travaillait toujours au puits Gargan, mais il n’y avait plus d’extraction. Il était chargé de la sécurité du puits « Sicherheitsmann ». Pour cela, il avait un laissez-passer. Cela lui a permis de ne pas être arrêté par les SS qui recherchaient de plus en plus d’hommes pour aller travailler en Allemagne. Beaucoup de personnes se cachaient pour éviter d’être arrêtés. C’étaient des cauchemars permanents pour beaucoup de familles. Les Américains ont libéré le centre de Stiring tout au début du mois de mars. La ligne de chemin de fer qui séparait le centre du quartier de Vieux-Stiring où nous habitions formait le front. Enfin, les derniers soldats allemands sont partis dans la nuit du 12 mars 1945 et les Américains ont donc traversé la ligne de chemin de fer le lendemain. Il était temps, il nous restait quelques pommes de terre germées. L’occupation américaine n’était pas une sinécure, mais au moins, on ne mourait plus de faim. Neuf mois plus tard, on constatait des naissances d’enfants dont plusieurs de couleur ! ! !

J’arrive au bout de cette période d’annexion allemande pendant la deuxième guerre mondiale, mais je tiens à vous livrer cet incroyable paradoxe concernant le parler. Les autorités nazies interdisaient de parler le français. A la libération, les autorités françaises ont mis en place dans les écoles des mesures en vue d’une francisation radicale et sans nuances. Ainsi, l’instituteur que j’ai eu à la libération et pendant trois années, était obligé de suivre les instructions qui lui étaient imposées. Il s’agissait d’un instituteur, père de famille, mosellan, formé sous le régime allemand avant 1918 et qui, comme bien d’autres, avaient subi la « Umschulung ». Une des méthodes imposées, consistait à faire porter à l’élève qui était surpris à parler allemand ou le dialecte allemand en récréation, une pancarte avec l’inscription « Boche ». Cet élève devait ensuite surprendre un de ses camarades à parler allemand pour lui remettre et lui faire porter à son tour cette pancarte et ainsi de suite. L’élève qui rentrait en classe après la récréation avec cette pancarte, devait alors subir une punition.

Il est inutile que je m’étende sur les états d’âme de ce maître d’école, brave homme et excellent pédagogue, auquel je dois toutes les bases de mon instruction scolaire, quand il devait appliquer cette punition, alors que lui-même, quelques années plus tôt, avait subi, contraint et forcé, la « Umschulung »nazie.

Pour conclure

Je travaille actuellement sur un ouvrage que je pense intituler l’Allemagne, la France et moi . Pourquoi ce titre ? Dans une même famille, la mienne, un père ancien combattant allemand, blessé et gazé sur le front de la Somme, son fils aîné français, Malgré-Nous, incorporé de force dans l’armée allemande, son fils cadet, ancien combattant de la guerre d’Algérie dans l’armée française.

Au soir de ma vie, je réfléchis sur mon destin qui aurait pu être différent par les hasards de l’Histoire.

Joseph Barthen

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