Conférence du 19 mai dans le cadre des festivités Dole en médiéval par Jacky Theurot

ANNALES DU PAYS DOLOIS

Se nourrir dans la première moitié du XIVe siècle à La Loye, Gevry, Dole, Montmirey, La Bretenière, Rainans.

Le métier d’historien que j’exerce m’a conduit à ausculter les archives conservées dans les dépôts comtois (Besançon et Lons-le-Saunier) ou extérieurs (du Pas-de-Calais à Arras par exemple). Ceux-ci ont été constitués lors de la mise en place des dépôts d’archives au cours de la période révolutionnaire, et permettent de retrouver dans les textes les éléments de la vie quotidienne d’époques aussi lointaines que celles où vivaient Mahaut d’Artois, sa fille, la reine Jeanne, et son beau-frère Hugues de Bourgogne, son gendre Eudes IV (entre 1306 et 1340). Ils contrôlaient des terres constituées en châtellenies autour de Dole, La Loye, Gevry, Rainans, La Bretenière, Montmirey par exemple. Ces textes écrits sur des feuilles de parchemin et les premiers papiers « de chiffe » (chiffon) importés d’Italie même, proposent, à l’issue d’une quête, puis d’une lecture longue et ardue, des informations relevant de la vie matérielle, et en particulier la façon dont les femmes et les hommes de ce temps, les princes certes, mais aussi les hommes d’armes, les vendangeurs se nourrissaient. Certes il ne sera pas possible de présenter un quelconque menu, mais les denrées consommées issues de ce morceau de pays dolois. C’est une autre façon d’aborder l’histoire, qui n’est pas seulement celle des hauts faits d’armes, des cours princières, des cérémonies de sacre.

Avant de parler de nourriture il faut situer le cadre topographique, le couvert végétal et les aptitudes nourricières de ces lieux que l’on parcourt de nos jours avec bonheur. Ce sont des vallées (Loue et Doubs), des monts (massif de la Serre et avant-monts qui lient Dole à l’Ognon), espaces où la forêt est fort présente (forêt de Chaux bien sûr, mais aussi celle de la Serre et nombre de bois et de haies), où la terre labourée et les prairies sont exploitées (dans la vallée du Doubs et à l’entrée du Finage, au val louais), mais la vigne tout autant avec quelque réputation en ce temps pour les vignobles des coteaux de Champvans et Sampans, de Rainans et Menotey, de Montmirey aussi. N’oublions pas non plus que les forêts et les bois appartenant au prince, sont riches de gibier, et les rivières et étangs, de poissons variés, plus que de nos jours, sans oublier que les sites de péages (Augerans et Gevry), les foires locales ou plus éloignées (Chalon, Besançon), peu nombreuses il est vrai, pouvaient offrir des denrées venues d’ailleurs. Rejoignons donc ces femmes et ces hommes à table et dans les lieux où ils satisfont leur appétit en diverses occasions.

En 1306, des rumeurs signalent à l’orée des châtellenies de Gevry et de Dole, des menaces du duc de Bourgogne qui a déjà incendié Champdivers, et laisse entendre qu’il va mettre le siège devant Dole. Aussi un petit groupe de « gens d’armes » – 9 cavaliers à l’Ascension, et d’autres pour 4 jours à la Saint-Martin d’été, en 1306 – séjourne en ce château. Dans les comptes, aux dépenses, il est rapporté qu’ils ont consommé la chair d’un mouton et d’autres viandes, du froment (pour le pain), du vin apporté de Saint-Vivant, alors sous le contrôle de la comtesse. D’autres gens d’armes qui vinrent depuis Bracon à Gevry pour apporter huit arbalètes, participèrent aux repas.

En l’année 1325, le sire de Pourlans, aux confins du comté et du duché, est entré en conflit avec la reine Jeanne et la comtesse de Bourgogne. Elles convoquent alors leur ost à Dole, le vendredi avant la Madeleine, Hugues de Bourgogne étant alors à la Bretenière, tentant de négocier une paix : ce sont 46 « hommes d’armes », des chevaliers et écuyers, qui sont au château – celui de Barberousse – avec leurs servants et 118 chevaux, important équipage y séjournant nuit et jour, devant se chauffer (charbon de bois), s’éclairer (chandelle de bœuf et de cire, torches), nourrir leurs chevaux (foin et avoine), mais bien entendu se nourrir au dîner (midi) et au souper (soir). On pourvut le château de pots et de verres, et on leur fournit selon les jours, pains, poissons (vendredi et samedi), œufs, mais aussi des poulailles et de la grosse chair (dimanche), des pois, du lait, du verjus et des vins aigres, des tartes, fromages, fruits, du sel, des épices, des aux et ognons, nous dit-on. Ensuite la troupe fit mouvement vers Pourlans le lundi, et mit le siège devant le château, consommant aux repas, de la « grosse chair » de deux bœufs, 4 porcs, 6 « chastrons » (moutons châtrés), 2 « bacons » (filet de porc salé ou fumé), de la poulaille, du sel et des aux. Cette troupe était accompagnée de 38 autres personnes, sergents, 25 arbalétriers, des bourgeois de Dole à cheval aussi, des charpentiers pour les armes de siège, un réel affrontement ayant lieu puisque il y eut des blessés soignés par « Maistre Geoffroy le Selorgien ». Des chevaux furent pris ou blessés par les hommes de Jean de Pourlans, tandis que des prisonniers furent ramenés à Gevry, puis à Dole. A Gevry la troupe se restaura le soir au village de pain, chair de bœuf, vin apporté de Dole ; et à Dole le même soir, d’autres gens d’armes mangèrent pain, vin, grosse chair, poulaille, poisson, fruits… Le mercredi toujours à Dole où tous se retrouvent, il est question de pain, vin, poisson, poulaille, grosse chair de bœuf, un « chastron » (mouton châtré) et un veau entier, au dîner et au souper. Le prévôt de Dole, Pariset Chambart, indique que la nourriture de la troupe coûta 75 livres et 17 sous pour une expédition qui revint à 132 livres 15 sous et un denier.

Venant de Besançon, Quingey et Santans, la comtesse Mahaut séjourne à La Loye du 2 décembre au 16 décembre 1327 au matin. Si elle y est avec ses serviteurs, le mardi 8 décembre elle offrit à manger « a ceux de la ville » (village ou bourg), et reçut aussi à sa table de grands personnages comme le 11 décembre messire Thibaut de Neuchâtel, le sire de Rougemont – le gardien – et le « Consans ». Le jeudi 3 décembre la dépense en denrées alimentaires fut évaluée à onze livres dix-sept sous et six deniers, la comtesse recevant en présent du « commun » vingt-huit setiers de vin, un demi sanglier, trois fromages, un chevreau et deux oies, produits « estimés » dans la dépense. Les denrées consommées constituent un large éventail des productions locales ou du secteur (poissons : carpe, brochet, truite, perche ; fromages ; venaison : sanglier, biche ; viandes : mouton, porcelet, chevreau, chèvre ; poulaille : oies, chapons, faisans ; oiseaux de rivière… ) ou non (le vin vient de Salins ou de Besançon, une partie du fromage de l’extérieur), nombre de denrées étant offertes par les grands ou les gens du village, car la garnison du « château de La Loye » (simple « saule » rustique ) devait être réduite en dimensions. Avant de quitter la Comté, dès le mercredi soir 16 décembre et jusqu’au dimanche 20 décembre, Mahaut d’Artois séjourna chez sa fille Jeanne, au château de Dole : le 17 se tint un grand banquet où elles mangèrent en compagnie de Jeanne de France, épouse du duc Eudes IV de Bourgogne, Marguerite de France épouse du comte de Flandre, sœur de Jeanne de France, des chevaliers des dames et des damoiseaux : on consomma en particulier du vin, de l’oie, du sanglier, des fromages…

Le compte, rendu pour l’entretien et la vendange des vignes de Rainans et Menotey, relevant de l’autorité d’Hugues de Bourgogne, beau-frère de Mahaut d’Artois, pour les années 1329-1331, outre les travaux accomplis, mentionne la fourniture aux ouvriers de vigne, d’œufs, de pain, de vin, maigre pitance pour des gens de peine. Par contre le 1er mai 1330, le maire de Cinqcens, officier d’Hugues de Bourgogne, accueillit à la Bretenière Henri de Bourgogne – neveu d’Hugues – avec 33 cavaliers (dont il fallut nourrir les chevaux d’avoine et fournir du foin), qui régla les dépenses pour le souper du mardi 1er mai : si le vin et la « chair salée » furent offerts, on acheta des écuelles et des verres, surtout du pain, un « chastron », un chevreau, un quart de veau, de la poulaille, des fruits, des épices, du sel. Le mercredi matin on consomma encore avant le départ, poisson, œufs et fromages.

En 1340 à Montmirey-le-Château, à diverses reprises le gardien du comté de Bourgogne et les chevaliers de l’ost du duc-comte Eudes IV, cherchant à pacifier le pays agité par des troubles, et chevauchant des confins nord de l’actuelle Haute-Saône jusqu’à Gevry, firent étape au château. La troupe du gardien s’arrêta pour le dîner (3 fois) et un souper (le samedi soir 27 mai), soit le 24 avril, le 18 mai, le 27 mai et le 7 juin 1340. Lors de ces passages la troupe est nombreuse : on compte à deux reprises la fourniture d’avoine (une partie amenée de Poligny le 7 juin) et de foin pour 86, puis 73 et 74 chevaux, soit autant de cavaliers, ce qui fait tout de même du monde, occasionnant des travaux de forge (fers), nécessitant de la cire et des chandelles de suif pour éclairer la grande « saule » du château. Quant à la nourriture consommée en ces occasions, elle porte sur du pain bien entendu, du vin, du poisson acheté à Dole, Pesmes et Choies, du veau, des « chastrons », des moutons, du veau, de la chair salée, des œufs et du fromage, des « joutes » (légumes), des herbes – cerfeuil ? – et des épices.

Si la plupart des denrées sont issues des productions locales (pain de froment, vin et lait, poisson d’eau douce, viande de bœuf, de veau, de mouton, de chevreau, légumes, oeufs et fromages), d’autres denrées viennent d’ailleurs. On peut alors se fournir au péage d’Augerans, voire au « portal » de Gevry, des caques de harengs venus du Nord – Mahaut d’Artois envoya à sa fille, en janvier 1328, alors au château de Dole, 2000 harengs valant 100 sous – convoyés par un certain Aquitart accompagné du charretier Guillaume de Goux, de Paris à Dole, harengs saures ou salés qui pouvaient se conserver dans les « garnisons » des châteaux, consommés surtout en temps de Carême. Notons qu’il est question d’épices, et à plusieurs reprises, lors des visites de la comtesse en Comté, et donc dans ses « châteaux » du bas pays, elle envoyait ses gens aux foires de Chalon-sur-Saône, voire à Besançon pour se procurer des épices venus d’Orient, afin de relever le goût des plats ou des gâteaux – poivre, gingembre, cannelle… – du sucre en table ou en dragées (amandes enrobées), denrée qui facilitait le transit intestinal lors de repas princiers bien lourds. A quelques reprises, alors qu’elle manquait de forces, la comtesse fit chercher des grenades à Besançon, fruits rares venus du sud, comme les épices.

Comme on le remarque il est peu question de lait comme breuvage à cette époque, les légumes sont rarement mentionnés peut-être parce qu’on se les procurait à bon compte là où on était. Retenons que le fromage est déjà largement consommé y compris à la table des humbles, signe que même dans le bas pays on en produisait car l’élevage était développé sur les grasses prairies. Mais nombre de ces denrées garnissaient plus souvent la table des grands que celle des menus. Ils révèlent les aptitudes de ces terroirs du pays dolois. Telle est la quête de l’historien. Remontez le temps avec lui, imaginez cette époque en parcourant le pays, mettez vous à table et savourez le plaisir de la lecture ! Jacky THEUROT

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