Visite du camp militaire de Foucherans, le 13 septembre 2014 avec Jean-Marie CHEKHAB.
En 1941, les Allemands ont construit, sur un emplacement exceptionnel, le terrain d’aviation de Tavaux avec une piste en béton. Ce terrain a servi à l’aviation de jour, chasse et avions-écoles, jusqu’en août 1943.
Puis pour protéger les sites sensibles de l’est de la France, d’Allemagne et d’Italie de nord1 contre les bombardiers alliés, ils y installent des appareils de chasse de nuit2 du 6/.NJG4 (Grupp II Staffel 6 Nachtjadgeschswader 4). Ces avions de la Nachtjagd avaient un radar à bord et des antennes sur le nez, ils étaient guidés par un centre de contrôle. Trente centres de contrôle s’alignent du nord ou sud de l’Europe, ils appartiennent à une zone de défense faisant le pendant au Mur de l’Atlantique et protégeant le Reich. Cette ligne, qui a été efficace, est peu connue. Mr Chekhab a une carte où tous ces centres de contrôle de la chasse de nuit sont représentés par des carrés noirs et les défenses du mur de l’Atlantique par des cercles. L’utilisation du radar servait à repérer l’arrivée d’avions alliés, comme il y avait beaucoup d’avions les informations étaient brouillées, alors le centre recoupait les données radar avec celles des pilotes et des autres centres de contrôle.
Pour installer son centre de contrôle proche des terrains de Tavaux et Dijon, là où les installations coûteuses seront à l’écart, hors des attaques des alliés (camp invisible depuis un avion) et où les personnels travaillant de nuit prendront du repos au calme, la Luftwaffe a trouvé un emplacement idéal. Situé à Foucherans, à 3 km à vol d’oiseau de Tavaux, il est dissimulé dans le bois de Chevanny. Débutée au printemps 1943, sa construction ne prend que quelques mois. Le maître-d ’œuvre en est l’Organisation TODT, c’est un camp standard avec un bâtiment opérationnel central, entouré de casernements, de sanitaires, de bâtiments /ateliers, d’une cuisine / cantine, d’une piscine. Beaucoup de corps de métiers interviennent : maçons, chauffagistes, plombiers, électriciens, peintres…les ouvriers sont payés à la tâche. Des jeunes du secteur s’y faisaient embaucher pour éviter de partir en Allemagne pour le STO. Des entreprises françaises y travailleront3. Un jeune de Foucherans, André Bataillard, âgé de 14 ans en 1943, employé par une entreprise de Brevans, participera à la pelle et à la pioche, au creusement des tranchées des fondations.
Le centre couvre 4 ha et porte le nom de code Dromedar = Dromadaire.
75 militaires4 au moins, beaucoup de sous-officiers, y travaillent. La moitié sont des femmes. Les autochtones de Foucherans en déduisent que c’est un bordel ou un centre de reproduction de la race aryenne ou un camp de repos… Ces auxiliaires féminines de la Luftwaffe, employées aux téléscripteurs, ont une hiérarchie, portent un uniforme gris-bleu qui leur donne le surnom de souris grises. Sur une photo, on peut les voir en rang, marcher au pas sous le commandement d’une supérieure.
Le bâtiment central, en pierre et béton armé
Il mesure 40 x 20 m (plus une 3ème partie qui n’existe plus et dont les pierres ont été récupérées). La partie avant de ce bâtiment a été dynamitée par les Allemands lorsqu’ils sont partis, on peut ainsi se rendre compte du diamètre des fers dont ils avaient armé le béton : 3 cm.
Deux générateurs électriques fonctionnaient au fuel, de multiples fils électriques partaient de deux angles du bâtiment central pour alimenter le camp en électricité. Leur emplacement est actuellement le local des chasseurs.
A l’entrée se trouvaient des toilettes dont on peut encore voir l’accrochage des chasses-d ‘eau au mur, le sol était carrelé.
La grande salle : le centre de contrôle de la chasse aérienne de nuit. Lorsqu’elle a été découverte après le départ des Allemands, elle a été prise pour une salle de spectacle.
A l’intérieur, les pierres recouvertes de plaques contre le feu et le bruit, un faux-plafond avec de laine de verre (après-guerre des gamins de Foucherans s’y promenaient), des joints de dilatation pour éviter la chute de tout un pan de mur en cas de bombardement (ce centre de contrôle n’a jamais été bombardé), le chauffage central (la chaufferie se trouve encore sous la partie qui n’a jamais été terminée – désormais recouverte par la végétation- et dont les pierres ont été récupérée après-guerre).
Les fenêtres, à hauteur d’homme, permettaient de s’abriter derrière elles. Des saignées au sol servaient au passage des câbles sous le plancher.
La partie du bas avait un plancher, s’y tenaient les officiers-contrôleurs, ils surveillaient l’arrivée de vagues d’avions et, le centre de contrôle qui en avait détectés commandait la chasse aérienne. En son centre, où officiaient des souris grises, se trouvaient les téléscripteurs, téléphones et postes émetteurs-récepteurs. De chaque côté étaient des locaux techniques : central téléphonique, etc. … et une salle où la gestapo venait interroger des personnes arrêtées. Les radars5 n’étaient pas ici, mais près de Dijon à Saint-Jean-le-Bœuf. Cette station de radars nommée Dackel, faisait partie d’un maillage de stations radars, détectant à longues distances : 300 km et 5 000 m d’altitude
Au niveau de la passerelle, les opérateurs se tenaient dessus et les opératrices, dessous.
Grâce à un ouvrier français entré ici par erreur avec un officier allemand, on a des informations sur le fonctionnement : l’organisation était basée sur ce qui se faisait en Grande-Bretagne. Au centre, au lieu d’une grande table, un tableau immense de verre avec carte. D’un côté des souris-grises, écouteurs sur les oreilles pointaient les emplacements des avions ennemis. De l’autre côté les officiers- contrôleurs voyaient ces localisations et décidaient de l’attaque. Un pilote allié avait peu de chances de voir arriver un avion de chasse venant par derrière et par en-dessous.
A l’étage se trouvaient des dortoirs pour la troupe et des pièces pour la lingerie.
Au-dessus, on accédait à la terrasse par un escalier, puis une trappe permettait l’accès au mirador.
Commodités, sécurité et confort
Le camp était traversé de chemins en béton, longé de barrières en bois et défendu à chaque extrémité par une mitrailleuse dissimulée dans la végétation.
L’occupant a fait empierrer le chemin d’accès : le Chemin des Vache.
Dans les sanitaires, lavabos avec rampe de robinets, douches et eau courante – ce que n’ont pas les gens de Foucherans – les W.C. sont munis de chasse d’eau et de fosse septique.
La piscine sert à la baignade, mais aussi de réservoir d’eau en cas d’incendie. En ce moment on ne peut se rendre sur son emplacement.
L’eau est pompée dans la Belaine, et amenée par des conduites aériennes. Le pompage n’étant pas assez puissant, une cuve est prise chez Audemar et installée au-dessus du bâtiment central : un petit château d’eau, d’eau potable amenée chaque jour par François Valcher, alors âgé de 14 / 15 ans et réquisitionné avec ses bœufs. Les eaux usées sont évacuées par canalisations le long de la pente et débouchent dans un bassin de décantation.
Le chauffage est au bois qui ne manque pas ici.
La cantine possédait un piano.
Le départ des Allemands
En Septembre 1944, peu avant la libération de Dole, ils quittent précipitamment les lieux. Ils exigent une grande quantité de pain, ne récupèrent pas leurs sacs-à-dos avec leurs effets personnels qu’ils avaient déposés à la maison Eugène de Chalon. Vers le 6 septembre, les derniers hommes laissent le repas dans les assiettes sur les tables de la cantine, mettent le feu aux baraquements et partent, de jour, dans le dernier camion.
Le 9 septembre, des gamins de Foucherans oseront rentrer les premiers dans le camp encore fumant. Ils constituent et cachent un trésor de guerre fait de cartouches et de fusils. Les habitants viennent découvrir les lieux jusqu’alors mystérieux pour eux : la salle de contrôle avec son matériel cassé et brûlé et la partie avant du bâtiment dynamitée. Ils se servent : petit mobilier, outillage, matériel de cordonnerie, draps, couvertures, vaisselle, fils téléphoniques pour lier la vigne…
Le centre de contrôle Dromeda, construit pour durer longtemps,
aura fonctionné d’octobre 1943 à avril 1944.
Le camp est américain
Octobre 1944, les Américains arrivent et font stopper le pillage. Les Américains de l’Engineer Air Force en font un centre d’hébergement et de dépôt de matériel : plaques P.S.P., pièces et moteurs d’avions, munitions légères…Ils ajoutent un grand hangar métallique qui, transporté sur le terrain d’aviation, est aujourd’hui à l’aéroclub de Tavaux.
Ce côté américain ne peut être visité en ce moment.
Les Tommies accueillaient chaleureusement les enfants, leur offrant un bol de chocolat.
Ils quitteront le camp en avril 1945.
Le camp est français avec le génie de l’armée française
Une photo montre deux soldats du génie militaire devant le bâtiment avec mirador, ils récupèrent des pierres qui serviront aux réparations des routes etc…
Avril 1945, le génie de l’armée française prend possession des lieux.
Il va réparer terrains d’aviation, routes, ponts etc…
Il va agrandir le camp de 400 x 200 m.
Il va construire 7 bâtiments, pour accueillir des nouveaux militaires du génie qui seront formés ici. Ces bâtiments dont il ne reste que la partie maçonnée : entrée au-dessus de 7 escaliers, grand rectangle du sous-bassement, avec au centre les pilotis du vide sanitaire sur lesquels était posé un plancher. Chaque baraque en bois, au toit bitumé, de type Adrian était semblable à celle qui sert de buvette à l’aéroclub de Tavaux.
Le génie va installer une petite voie de chemin-de-fer.
Il va installer son infirmerie dans le bâtiment qui se trouvait en face du bâtiment central.
Le génie militaire quittera le camp en février 1946, lorsque son école partira dans la région parisienne.
Une colonie de vacances pendant 3 ans : en 1946 – 47 et 48.
Puis une décharge, à partir de 1967, à l’extrémité du site…
Le fer, les fils électriques, le cuivre ont été vendus à un ferrailleur qui a déterré sans reboucher.
Les baraques Adrian ont été vendues, ont été reconstruites ailleurs pour servir d’écoles, etc…
Les gros arbres n’ont pas été coupés : les Allemands s’en sont servis de cibles de tir. Lardé de balles, de fils métalliques divers, le bois est sans valeur marchande et abîme les machines à bois. Ces arbres sont encore en vie car ils ont été fusillés.
Le camp est situé sur la commune de Foucherans qui est propriétaire d’une partie, l’autre partie appartient à la famille de Menthon.
L’histoire de ce camp a demandé 8 ans de recherches au professeur Chekhab, habitant à Foucherans. Recherches auprès des habitants de Foucherans, à Dole et d’ailleurs.
Recherches auprès de soldats du génie de l’air… Il en a été le guide pendant une décennie…
et encore aujourd’hui pour les Amis de la Médiathèque de Dole.
Il a publié La guerre aérienne en pays dolois et a participé au livre Foucherans-Jura, deux mille ans de notre histoire.
Le camp a inspiré L’autre de l’étang noir, à Jean Gauby qui a passé son enfance à Foucherans et est le petit-fils du dernier sonneur de la Collégiale de Dole.
D’autres centres de contrôle de la chasse aérienne de nuit sont beaucoup mieux conservés.
Une mise en valeur pérenne de celui de Foucherans, comme lieu de mémoire de la Seconde Guerre Mondiale est souhaitable. Elle nécessiterait un investissement financier important.
- Sites sensibles : industries d’armement et dépôts de munitions. ↵
- Appareils de la Nachtjagd ; Dornier 17 et 217, Junker 88, Messerchmitt Bf 109 ↵
- Entreprises : Rasel (terrassement), Michelet (charpente), Daniel &Cie (des Ardennes, maçonnerie),Bianchi Gaertner & Cie (de Paris, bureau place Barberousse à Dole) ↵
- On connait ce nombre de 75 grâce à Robert Escande, travaillant aux cuisines, à qui il était souvent demandé de cuire 75 beefsteacks. ↵
- Radars Freya et Wasserman. ↵
Ancien. 25eme BGA, stationné a Foucherans en 68-69