Hommage à Alain CHESTIER (1947-2020)

Le 6 septembre 2020, les Amis de la Médiathèque de Dole ont perdu l’un des leurs, le plus atypique assurément, le plus brillant incontestablement. Il faudrait plusieurs pages pour évoquer toutes les facettes de la personnalité et de l’œuvre d’Alain Chestier, enseignant, auteur, metteur en scène, acteur, poète, compositeur, chanteur.

Originaire de Paris, après des études de lettres modernes à l’Université de Grenoble, où il donne également des cours dans le cadre de la formation continue du CUEFA, il devient professeur en 1974.
Il est alors nommé dans l’Académie de Besançon, et exerce plusieurs années à Grand-Charmont, près de Montbéliard, puis au collège Victor Hugo de la capitale franc-comtoise. C’est en 1981 qu’il s’établit définitivement à Dole, enseignant pendant cinq ans au Collège de l’Arc puis au lycée Charles Nodier, de 1986 jusqu’à sa retraite en 2008 ; ses collègues et amis ont rappelé combien il est aimé de ses élèves, et pas seulement pour ses allures de rocker rebelle… Rebelle, il l’est depuis son plus jeune âge et s’est fait renvoyer de plusieurs établissements scolaires, nous dit-il dans la préface de l’un de ses ouvrages. Il n’en est pas moins docteur ès-lettres, titre obtenu à l’Université de Dijon en 1992, avec une thèse intitulée « Beckett, bouche bée ou la parole tue », ce qui le conduit à être chargé de cours à l’Université de Franche-Comté.

Sa culture littéraire éclectique, servie par un verbe clair et précis, sa rigueur exigeante sous des dehors de haute fantaisie, nous font envier les lycéens et les étudiants du BTS Tourisme du lycée Nodier qui ont eu le privilège d’assister à ses cours. Heureusement, grâce à l’Université Ouverte, et au président de l’antenne de Dole Jacky Theurot, un large public a pu bénéficier de son savoir et de son éloquence. On se souvient des colloques auxquels Alain Chestier a participé, des articles qui ont suivi, et des nombreuses conférences qu’il a présentées chaque année sur les sujets les plus variés, comme sa série de Pages de littérature : en 2016 Octave Mirbeau, Guy de Maupassant, Simone de Beauvoir ; en 2019 Le suicide en littérature, Eugène Ionesco, La Franche-Comté et la littérature ou encore à Dole et à Poligny Fred Vargas et le renouveau policier, les raisons d’un succès. Il publie un essai sur Mallarmé, Camus et Beckett, La littérature du silence (Ed. de l’Harmattan, 2003) ; en collaboration avec Véronique son épouse, un autre essai Littérature et progéniture (DMODMO, 2013), des recueils de textes, poèmes et chansons Amour Parcours (DMODMO, 2006), Tout contre (2017), CD de textes écrits à quatre mains avec Véronique, musique composée par Alain sur des arrangements de Claude Mairet, toutes publications qui sont mises à l’honneur lors des éditions du Salon du livre du Rotary-Club de Dole (avril 2015, 2017, 2019), auxquels Alain est fidèle. A la fin de l’année 2019, il sort à la FNAC de Dole, sous forme d’une clé USB, son dernier album A la vie, à la mort, y croire encore, coécrit avec Véronique et sur lequel on trouve à nouveau des arrangements de Claude Mairet.

Mais on peut dire que l’homme de lettres qui l’a vraiment inspiré est Charles Nodier (1780-1844).
Tout a commencé en 1999. Cette année-là, pour marquer dignement l’ouverture prochaine de la médiathèque de Dole, notre amie Annie Gay, qui est, outre ses multiples talents, spécialiste du théâtre événementiel, et moi-même, imaginons un projet fou, une création théâtrale faisant revivre le cercle littéraire dolois de l’époque romantique, dont le héros central sera bien sûr Charles Nodier.
Alain Chestier accepte de participer au projet, il collabore au scénario qui se dédouble – qu’est devenu le cénacle de 1825… en 2025 ? – et il en assure la mise en scène. Cela donne, en juin 2000, le spectacle De temps en temps, et toute une série de représentations dans la cour de l’Hôtel-Dieu, qui fait « salle comble ». Sur les planches, Alain incarne à merveille le marquis de Valdahon et son avatar du futur, Jean Chris Hondaval, mais il aurait tout aussi bien pu camper ce Nodier longiligne et fantasque auquel il ressemble tant !

En 2008, on commémore avec éclat le séjour à Dole de Charles Nodier, et son mariage avec Désirée Charve. Alain participe à ce bicentenaire avec un bel ouvrage commémoratif, superbement illustré, Il était une fois Nodier (DMODMO, 2008), pour lequel il a sollicité la collaboration d’Annie Gay (histoire du lieu) et de Jacques Geoffroy (Vivre et apprendre) qui s’y sont beaucoup investis. Alain prend part au cycle de conférences Nodier de l’Université Ouverte de Dole : au forum Marcel Aymé de la médiathèque, sans la moindre note, deux heures durant, il dresse un portrait de l’écrivain qui tient en haleine un public conquis. Quelques années plus tard, un livre en sortira : Charles Nodier. Du proscrit à l’immortel. Récit (Cabédita, 2015). Le 26 mai 2016, c’est à notre association qu’Alain Chestier donne la primeur de sa conférence présentée de façon originale, Nodier de A à Z (j’en ai donné le compte-rendu dans l’Echauguette n°25 et 26). Le 16 mars 2017, le cinquantenaire du lycée est encore pour lui l’occasion d’évoquer à la salle Meyer du bâtiment de La Charité Nodier, auteur et personnage historique. Signalons encore Rêver la réalité chez Charles Nodier, sa postface au roman de Jérôme Sorre, l’hiver du magicien (La Clef d’argent, 2017).

Entretemps, c’est à Quintigny, le village jurassien où vécut l’auteur de La Fée aux miettes et d’Infernalia, et à la faveur d’une de ses conférences, qu’Alain Chestier et son épouse conçoivent l’idée d’une nouvelle animation théâtrale. Chantal et Claude Mairet, la troupe de théâtre doloise Les Zurbains, la Pétillante Compagnie de Quintigny et l’Ecole Mégadanse font partie de l’aventure, qui devient en juillet 2017 et juillet 2018, au château médiéval, à la chapelle, et au lavoir du village Le Vampire de Quintigny, un spectacle-déambulation qui oscille entre fantastique et franche comédie.
Inspirés des œuvres de jeunesse de Nodier, les dialogues ont été écrits par Véronique et Alain. Un personnage du XIX e siècle, un certain Alan Melchior Nosfer, est soupçonné d’être une créature monstrueuse qui, la nuit venue, vide de leur sang animaux et habitants. Traversant les siècles, il revient au dernier acte sous les traits d’un chanteur de rock, AMN, incarné par Alain qui, dans un final musical endiablé, vient interpréter une chanson qu’il a lui-même composée : le vampire mal aimé. On n’imagine pas alors que, depuis 2014, s’est déclarée la maladie qui aura raison de son dynamisme et de sa combativité.

Après Quintigny, c’est pour sa ville de Dole qu’Alain reprend encore une fois la plume, en compagnie de son épouse : leur amie de toujours Annie Gay les convie en effet à participer à l’écriture de la pièce Les Habitants de la place qui est jouée durant l’été 2019, dans une mise en scène de Chantal Mairet. Promenade théâtralisée dans le centre historique, elle illustre la fresque monumentale de la rue de la Sous-Préfecture et rencontre un grand succès.

Histoire, littérature, musique, poésie, théâtre, pédagogie… A cette évocation d’une vie vouée à la culture, ajoutons encore une facette peut-être moins connue mais tout aussi importante : en 2001 Alain Chestier a participé à la création d’une association sportive doloise, l’ASCEA, qui a accueilli de nombreux adhérents pendant près de vingt ans.

Danielle Ducout
(avec la complicité de Véronique Chestier)


Adieu à un ami

Par Annie Gay

Alain,
Nous voici au bord du trou. Au bord de l’éternité. De l’infini néant.
Je suis passée te voir dans ton salon funéraire ; tu avais l’air d’un vieux marquis endormi !
Certes, j’aurais préféré le salon littéraire de 1825 où tu jouais le marquis de Valdahon, mais costumé et cravaté, tu en avais encore l’allure et moi le souvenir ému.
Combien de fois avons-nous parlé de la mort, surtout quand elle s’est mise à rôder autour de nous !
Je te disais que j’en avais peur, et tu me citais Epicure : « Tant que je suis là, elle n’y est pas, quand elle arrive, je n’y suis plus ». Une manière de me dire, il ne faut pas avoir peur…
Tu me citais aussi Montaigne : « le premier préjugé en ce qui concerne la mort est de l’entrevoir comme une chose terrible, alors que la mort met fin à la vie et donc à la conscience que nous avons d’elle »…Alors en effet, pourquoi la craindre, puisque, quand elle est là, nous n’y sommes plus…
En tout cas, cette charognarde, tu l’as combattue et défiée jusqu’au bout ! Jamais tu l’as apprivoisée, mais toujours tu l’as affrontée. Et jusqu’au bout. Le 31 août encore, à un mail que je t’ai envoyé pour te signaler une énormité de plus dans la transmission de la langue française, tu m’as répondu : « on n’arrêtera jamais le vandalisme intellectuel surtout quand il est entre les mains des pédagophiles ! Grosses bises d’un légume encore branché ».
Nier la mort par la vie, tu as su le faire à merveille. Poète, musicien, danseur, saltimbanque, tu as décliné l’amour de la vie et de l’esprit de toutes les manières, et tu aurais pu vivre à tous les siècles, au temps de Montaigne, comme au temps de Baudelaire…
Présent au monde, nul ne l’a plus été que toi, généreux, aimant les gens et les chats, marquis et rocker à la fois, aucune humilité mais aucun snobisme, préférant toujours l’être à l’avoir, copain avant toute chose, à la Brassens…
Tu es l’un des rares collègues qui est devenu mon ami : ton extravagance et ton esprit rebelle m’ont toujours séduite. Atypique dans le monde de l’éducation nationale, sa langue de bois et ses certitudes. Anticonformiste, antisystème, d’où la liste « Union libre » que nous conduisions aux élections administratives…
Les étudiants du BTS Tourisme de Nodier t’adoraient, tu leur enseignais la communication, il faut dire que tu en étais un maître ! Tu les épatais, certes tu n’avais pas une vêture classique !
Ils t’appelaient « Le King » ou Johnny… Ta Harley Davidson les médusait ! Et aussi et surtout ta flamboyance…Jamais prof ne fut plus baroque que toi !
Nous avons aussi parlé de Dieu, de l’idée de Dieu. Agnostique ? Incroyant ? Sceptique ?
Pascalien ? Peu importe, nous étions d’accord sur une chose : nos racines, ancrées dans une civilisation gréco-latine et judéo-chrétienne dans laquelle nous nous reconnaissions, c’est ainsi qu’il faut voir ton passage dans la Collégiale…
Ainsi, Alain, tu es arrivé au bout… Un peu avant moi, un peu avant nous. Au bout d’un temps, celui d’une manière d’être et de vivre à la française, celui du monde de Voltaire et de Rousseau, celui du temps des années 1968-1970, le temps de nos 20 ans, de toutes les libertés, de toutes les audaces et de toutes les illusions…
Tu vas nous manquer. Avant de te laisser, je vais te parler de ton grand-père et de mon père.
Ton grand-père qui disait, quand il te voyait avec tes longs cheveux et tes pantalons twist, « Pauvre France ». Mon père qui répétait ce que cet anticlérical de Clemenceau disait « Le tombeau des morts est dans le cœur des vivants »… Et toi, Alain, tu seras toujours dans mon cœur, tu étais mon ami et je suis ton amie…

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