Conférence sur Jens Boettcher
le 5 décembre 2019
par Pierre Crozat, architecte
Notre président accueille chaleureusement le public et rappelle que JENS BOETTCHER a réalisé la statue des Commères pour la ville de Dole qui lui a réservé un emplacement de choix, place aux Fleurs, et à laquelle les habitants sont désormais très attachés, contrairement à son accueil initial, lors de la présentation de l’œuvre en 1982. Monsieur Crozat reviendra brièvement sur « Les Commères » pour préciser qu’elles ont été prêtées à la ville de Lahr où elles ont obtenu un réel succès et c’est seulement au retour de l’œuvre à Dole qu’elle fut véritablement adoptée.
La pluie, le froid, les grèves générales à grande échelle avaient retenu une partie du public attendu et c’est fort dommage, tant cette conférence animée par Monsieur Crozat, avec Monsieur Momet aux commandes du film tourné au printemps dernier, a ému.
Les œuvres que nous avons vues ont imprégné nos mémoires comme si les souffrances physiques et psychologiques de la guerre, les déchirements liés aux pertes d’êtres chers avaient façonné les personnages, les objets, tels des blessures que les mains de l’artiste – interprètes fidèles de douleurs indicibles – nous ont léguées pour la postérité.
Le film que nous avons vu a été réalisé lors de l’exposition du mois de mai 2019 à la Fonderie d’Art de Saint-Sauveur près de Luxeuil-les-Bains, et l’ambiance de ce lieu qui évoque l’espace, la puissance est réellement adaptée à l’œuvre de l’artiste.
Né le 10 février 1933 à Essen dans la Ruhr, il n‘a que 6 ans lorsque la guerre éclate et il n’a pas le temps de s’épanouir auprès d’une mère qui lui a transmis sa fibre artistique. Talentueuse, elle occupait ses loisirs à dessiner. Ses parents s’installent à Berlin en 1937 où il vécut, malgré quelques parenthèses liées aux événements de l’époque, jusqu’en 1967.
Sa région natale subit des attaques terrifiantes et de façon étonnante, davantage orchestrées par les alliés que par les ennemis : il fallait neutraliser l’industrie allemande, future concurrente et par conséquent, les bombardements ont été plus importants dans la Ruhr qu’ailleurs du fait de la concentration d’industries de pointe. Pour le protéger, ses parents décident de l’envoyer dans une colonie polonaise. Il supporte mal l’éloignement et cette injustice qu’il ressent fait de lui un enfant rebelle. Lorsqu’il retrouve ses parents errant seul dans Berlin vers l’âge de 12 ans, il est déjà façonné par le monde impitoyable dans lequel il a grandi et par la débrouille.
Son père, chirurgien, veut offrir à son fils une excellente formation, mais Boettcher peine à s’imposer toute discipline et est renvoyé des établissements qu’il fréquente. Il décide de se diriger vers le monde du travail et trouve un poste d’ouvrier agricole dans un village où il rencontre un forgeron dont il admire le travail ; ce sera une rencontre déterminante qui marquera un tournant dans sa vie.
Il se passionne pour ce métier et fait son apprentissage durant 3 ans dans un collège d’enseignement professionnel, obtient son diplôme de serrurier forgeron ainsi que dans un domaine dont l’appellation est beaucoup moins courante : la dinanderie, c’est-à-dire la réalisation d’ustensiles domestiques en cuivre jaune. Il poursuit 2 ans encore et obtient son diplôme d’Etat en artisanat d’Art. En 1955, Il a 19 ans. Il intègre la « Hochschule für bildende Kunst » (Ecole de Hautes Etudes en Arts Plastiques).
La qualité de son travail du fer lui ouvrira les portes de l’Ecole des Beaux-Arts de Berlin. Il suit les cours d’éminents professeurs et se perfectionne dans la ferronnerie, la sculpture. Il sort diplômé des Beaux-Arts de Berlin en 1959. Une volonté tenace d’aller au-delà de l’excellence le fait rester un an de plus aux côtés du professeur Gonda.
Remarqué par le professeur G. Schreiter de Brême, il était devenu son assistant un an auparavant et les autorités culturelles et religieuses lui confient en 1958 la réalisation d’un Christ en croix de 5m de hauteur pour l’église de Charlottenburg (le quartier français) à Berlin. Il est sollicité pour exposer dans de grandes villes allemandes.
Désormais reconnu, il travaille sans relâche, enchaîne les commandes et au cours d’un stage de maîtrise rencontre une Doloise, Chantal Leculier, qu’il épouse en 1966 et dont il a une fille, Laurence née en 1967 ; puis l’année suivante la famille s’installe à la campagne, à Lavangeot près de Dole.
Il se fait un nom en Franche-Comté, est entouré d’artistes qui exercent leurs talents dans de nombreux secteurs, photographie, gravure, peinture, etc.. Ce microcosme culturel attire beaucoup d’admirateurs dans la région. Il expose à Sochaux, Forbach, Besançon, Paris (au Musée d’Art Moderne), Lyon, Annecy pour ne citer que quelques villes françaises ; dans le Gard également, mais aussi en Belgique, au Luxembourg. Il installe un atelier à Besançon et est nommé professeur à l’Ecole des Beaux-Arts de la ville en 1975 (où il enseigne jusqu’en 2001). Il obtient le prix de la ville de Besançon en 1980 qui lui permettra d’exposer ses œuvres au Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie et aux Fonderies d’Art de Saint-Sauveur de Luxeuil où il se sent totalement dans son élément avec la préparation des moules, le métal, le four, la coulée, la patine.
Les gens de la région l’appelaient amicalement « le Boche », ce à quoi il répond, complice, « non, votre Boche ».
En 1977, cet être tourmenté qui se remet constamment en question, re-déploie son talent vers le modelage – sans pour autant s’éloigner définitivement de la ferronnerie – et explique cette nouvelle orientation par ces mots « le métal porte déjà en soi une forme, tandis que le plâtre, lui, est amorphe. C’est pour cela que je l’ai choisi à présent, car je désire que tout vienne de moi. Tout doit être voulu ».
Nous ne pouvons pas citer toutes ses œuvres, mais citons « Ikare » œuvre réalisée en bronze commandée par la ville de Berlin ; « Le Poulot », coq du clocher de l’église de La Loye près de Dole réalisé en cuivre ; « La Levée » à Valdahon ensemble monumental en fer ; « Le Minotaure » fontaine en bronze commandée par la ville de Besançon et installée entre le canal et le Doubs, dans la boucle de la ville ; puis un nombre impressionnant d’œuvres exposées à l’Atelier de la Rotonde à Besançon dont son autoportrait réalisé en plâtre teinté en 1997 qui évoque le génie créateur broyé mais debout et dont les mains, de proportions importantes, ont fini par transmettre à la postérité ses cris de douleurs.
Monsieur Crozat termine sa conférence en exprimant le vœu que la soixantaine d’œuvres situées actuellement dans un dépôt puissent un jour trouver une salle d’exposition permanente à Dole ou en tout cas en Franche-Comté où Jens Boettcher trouva l’apaisement durant de nombreuses années.