Célébration des 25 ans de la médiathèque

Histoire des Bibliothèques doloises

La médiathèque de l’hôtel-Dieu va fêter en 2025 ses 25 ans. C’est l’occasion de rappeler qu’elle est l’héritière d’une histoire de près de sept siècles ! On ignore si, en des temps encore plus lointains, l’empereur Frédéric Barberousse et son épouse Béatrice disposaient d’une bibliothèque en leur tour fortifiée qui dominait le Doubs. Il y eut par contre des livres dans les monastères bénédictins de Jouhe et de Mont-Roland, quelques-uns sont parvenus jusqu’à nous. Mais en ce qui concerne Dole intra-muros, c’est en 1372 que l’histoire commence, lorsqu’arrive, venant de Salins, un franciscain érudit nommé Pierre de Dole, appelé à diriger un couvent de Cordeliers en cette ville capitale des ducs-comtes de Bourgogne. Il apporte ses livres, qui deviennent au fil du temps le noyau d’une bibliothèque de travail florissante : vers la fin du quinzième siècle, elle compte près de 100 volumes manuscrits, auxquels s’ajoute une vingtaine de ces premiers imprimés que l’on nomme incunables. Cette collection s’enrichit sans interruption durant quatre siècles sans changer de lieu. Pour elle, le dernier père « gardien » qui rebâtit le couvent entre 1750 et 1770 installe une belle salle au plafond orné de décors en stuc.

Photo du couvent des Cordeliers de Dole.
Couvent des Cordeliers de Dole. Chevet de l’église vu de la rue Bauzonnet

Revenons à la fin du Moyen Âge. Dole, assiégée et à demi détruite par les armées de Louis XI en 1479, se reconstruit rapidement. L’université de Dole, créée en 1423, retrouve ses étudiants et recrute des « libraires » chargés de fournir les manuels indispensables aux maîtres et à leurs disciples. En 1492, Antoine de Roche, professeur de droit, ancien grand prieur de l’abbaye de Cluny, crée un lieu d’accueil et d’hébergement pour douze jeunes moines bénédictins qui viendront à Dole suivre les cours de l’université : le Collège Saint-Jérôme, avec sa chapelle et son cloître, offre un cadre propice à l’étude, d’autant plus que le fondateur, mort en 1506, a légué sa bibliothèque personnelle, constituée de livres rares, de manuscrits enluminés sur lesquels il a fait peindre son blason. Aux côtés des manuels de droit et des traités de théologie, il y a beaucoup d’ouvrages relatifs à l’antiquité grecque et romaine ; c’est une bibliothèque humaniste, ouverte aux intellectuels de la ville, que les directeurs, successeurs d’Antoine de Roche, augmentent encore jusqu’au départ de l’université pour Besançon en 1691.

La Contre-Réforme catholique est ponctuée de nombreuses autres créations de couvents, Capucins, Carmes notamment, où les livres font l’objet d’un usage intensif, que ce soit pour la prière, l’étude des textes, la prédication, mais aussi la culture générale des religieux qui sont ouverts à la géographie, à l’histoire, aux mathématiques, aux sciences naturelles. La plus importante des bibliothèques conventuelles est celle des Minimes, un établissement sis sur la rive gauche du Doubs (derrière l’actuelle Commanderie). Un savant né en 1638 près de Gray, y fait ses premières armes : le père François Xavier Laire, très versé dans la connaissance des imprimés anciens, deviendra plus tard bibliothécaire d’un évêque et fondateur de la bibliothèque municipale d’Auxerre.

Afin de donner une éducation de haute qualité aux fils des parlementaires de Dole, en 1579 le Magistrat (collectif qui dirige la ville) a obtenu du Pape et du roi d’Espagne l’autorisation de créer un nouveau collège confié aux Jésuites, compagnie de prêtres et enseignants réputés.
Ceux-ci se sont installés dans la maison Lallemand rue Cordière (actuelle rue des Arènes) et y ont aménagé une bibliothèque « vaste et belle », car ils ont apporté eux aussi leurs beaux livres reliés de cuir aux dos ornés de filets dorés. En 1607, ils édifient l’église, les premiers bâtiments, et l’arc qui relie le collège de grammaire au bâtiment jouxtant l’église. Beaucoup plus tard, en 1666, les pères jésuites font construire une bâtisse austère le long de la rue de Cîteaux pour y accueillir notamment leur bibliothèque, enrichie de multiples legs et dons des universitaires dolois et des membres du Parlement. Seuls sans doute les élèves des plus hautes classes ont accès à ces documents précieux.

Photo en noir et blanc de la salle d’étude de la bibliothèque municipale de Dole.
Bibliothèque municipale de Dole. La salle d’étude

Les Jésuites, parce qu’ils dépendent directement du Pape et non du roi de France, sont chassés du royaume en 1764. Des prêtres diocésains les remplacent, parmi lesquels l’abbé Jantet comme professeur de mathématiques et l’abbé Pierre-Denis Rouhier comme professeur de lettres. Mais dans la belle salle de bibliothèque de près de 200 m2, les livres des anciens occupants des lieux restent en place. Signe de l’importance accordée à l’écrit et au savoir dans la France du dix-huitième siècle, la direction du « Collège royal de l’Arc » commande aux menuisiers Louis et Vincent Thévenin des étagères encadrées de pilastres à chapiteaux corinthiens, un somptueux décor que nous pouvons encore admirer aujourd’hui.
Nous sommes en 1785, et au même moment, un notable dolois, Pierre Joseph Désiré Richardot de Choisey, rédige son testament. Il lègue 2000 écus à la ville de Dole pour former ou augmenter une bibliothèque publique. Cet aristocrate, ancien président de la Chambre des Comptes de Dole, adepte de la philosophie des lumières, possède lui-même une belle collection de livres. Il sait que plusieurs villes comtoises, Besançon, Vesoul, Salins, ont déjà ouvert une bibliothèque ouverte à tous et souhaite que Dole, l’ancienne capitale, ne reste pas en arrière.

A Paris, dès novembre 1789, l’Assemblée constituante a décrété la fermeture des couvents et confisqué leurs biens, dont leurs bibliothèques. Il faut rassembler les ouvrages mis « sous la main de la Nation » dans des dépôts littéraires dont on ne sait pas exactement ce qu’on en fera… Mais à l’échelon dolois, la destinée de ces collections est assurée : le 26 janvier 1791, le marquis Terrier de Montciel, président du Conseil général de la commune (c’est ainsi qu’on nomme à l’époque le maire de Dole) annonce son intention de donner corps au legs de Richardot de Choisey : la culture des lettres et des arts contribue au bonheur de la société, les arts perfectionnés augmentent ses richesses réelles, les hommes éclairés par le commerce des lettres… deviennent plus modérés, plus amis de leurs semblables , plus disposés à contribuer à l’avantage commun…. Tel est le préambule du « prospectus pour l’établissement d’une bibliothèque publique en cette ville », document anonyme mais éloquent que lit le maire. Il fait référence à la suppression des communautés religieuses, aux collections de livres plus ou moins nombreuses, plus ou moins précieuses, mais qui seraient à peu près perdues si elles étaient dispersées. Il rappelle le legs de feu M. le Président de Choisey et conclut : lecture ayant été faite, il a été délibéré que la municipalité fera toutes les démarches pour procurer l’établissement de cette bibliothèque.

Les troubles révolutionnaires ne favorisent guère le patient travail d’inventaire nécessaire pour appréhender ces richesses livresques, les trier et les réunir. Les décisions gouvernementales se succèdent. En l’an III, l’Ecole Centrale qui succède au Collège royal se voit attribuer les collections confisquées, parmi lesquelles celles des Cordeliers, du Collège Saint-Jérôme, des Minimes, et de l’ancien Collège jésuite, sont les plus importantes. On nomme bibliothécaire l’ex-abbé Rouhier, et on le charge de dresser le catalogue demandé par « l’administration centrale ». Le travail n’est pas achevé lorsque celle-ci décide en janvier 1803 de confier les collections confisquées, bien d’Etat, à la garde et sous la surveillance des municipalités, en leur laissant la charge de rémunérer un bibliothécaire. Cette mesure ne suscite pas l’enthousiasme des mairies.

A Dole, la bibliothèque s’endort dans les locaux du collège communal ; le jeune Charles Nodier se porte candidat au poste de bibliothécaire en 1808 mais n’est pas agréé par le maire Bouvier pour d’obscures raisons d’ordre politique. Ce n’est qu’en 1810 que deux célèbres conseillers municipaux s’emparent du problème : l’historien Nicolas Casimir de Persan et le poète Léonard Dusillet étudient les conditions nécessaires pour que la bibliothèque soit ouverte au public deux jours par semaine. Et devant l’incapacité des responsables concernés, c’est Casimir de Persan lui-même qui devient bibliothécaire : il accueille le public, classe les ouvrages, et en dresse enfin le catalogue complet qui comprend près de 7 000 titres (et près de 10 000 volumes). Cet ancien officier de cavalerie, qui décède en 1815 à 65 ans, a pour successeur un jeune homme de 23 ans féru de bibliographie selon le nouveau maire Dusillet : Jean-Joseph Pallu, fils d’un marchand de porcelaine dolois, est un bibliophile autodidacte, correspondant du bibliothécaire bisontin Charles Weiss.

Portrait de Jean-Joseph Pallu
Jean-Joseph Pallu (Médiathèque d’agglomération du Grand Dole)

D’abord secrétaire à la mairie, il convainc le maire de créer le musée et durant 44 années, va prendre soin de la Bibliothèque, de ses collections d’Etat, des nombreux dons et legs de notabilités doloises, auxquels s’ajoutent les 4 000 livres achetés en 1826 par la Ville aux héritiers de Casimir de Persan. L’ancienne grande salle autrefois aménagée par les Jésuites, repeinte mais pas encore chauffée, est désormais précédée d’une petite salle de lecture aux étagères grillagées, qui s’ouvre vraiment au public plusieurs jours par semaine à partir de 1833. Désormais la « Bibliothèque publique de la Ville de Dole » a un caractère nettement encyclopédique, bien que le catalogue imprimé, publié par Pallu entre 1848 et 1855, commence toujours par le chapitre Théologie. L’institution s’est enfin affranchie de la tutelle du Collège de l’Arc, mais elle est réservée à une élite restreinte d’érudits, d’historiens, de gens de lettres, une communauté « savante ».

C’est un homme engagé en politique, ancien directeur d’un établissement d’enseignement à Mulhouse, qui succède à Pallu en 1865 : Jean Antoine Davin crée en très peu de temps dans une arrière-salle de la bibliothèque « d’étude » une bibliothèque populaire, qui offre un choix de plus de 1 000 livres et périodiques, destinés à distraire autant qu’à instruire. Pour un abonnement modique, on peut les emprunter à domicile. Le succès est très vite acquis : une centaine d’abonnés en quelques mois… Cette création va survivre à la révocation du conservateur en octobre 1870, jugé coupable d’avoir trop manifesté sa méfiance vis-à-vis de la IIIe République naissante. La bibliothèque populaire est parfois jugée encombrante, elle déménage plusieurs fois, est installée de 1933 à 1982 dans une salle haute de l’ancienne école de la rue des Arènes, puis rejoint de nouveau la rue du Collège jusqu’à l’ouverture de la Médiathèque. Mais elle remplit sa mission de « lecture publique » : 14 000 prêts en 1955, pas loin de 100 000 prêts dans les années 1990.

Par deux fois la Ville de Dole a tenté de doter la bibliothèque municipale de locaux adaptés, en 1829 d’abord, en achetant l’ancienne église des Cordeliers ; en 1910, ensuite, avec un projet ambitieux de l’architecte Chifflot, projet de construction que la Grande Guerre voua aux oubliettes. La bibliothèque municipale a dû continuer à composer avec ses locaux prestigieux, mais étroits et malcommodes, jusqu’à l’évènement qui a fait évoluer significativement l’institution : son classement en 1ère catégorie, en août 1965. Aux professeurs retraités du Collège de l’Arc, bibliothécaires érudits mais quasiment bénévoles, ont succédé des conservateurs et des conservatrices d’Etat, formés à l’Ecole nationale supérieure des Sciences de l’information et des Bibliothèques ou à l’Ecole Nationale des Chartes. Leur mission est clairement le développement de la lecture sous tous ses aspects et sur tous les supports. Ils et elles se sont efforcé de susciter l’intérêt des municipalités pour l’accroissement des équipes territoriales, de démontrer l’utilité du service pour toutes les catégories du public dolois. Progressivement, ils et elles se sont attachés à ouvrir plus largement la bibliothèque aux scolaires et aux étudiants, proposer des activités culturelles autour des collections anciennes et contemporaines, créer des bibliothèques de proximité dans les quartiers (Poiset, La Paule, Goux, Mesnils-Pasteur), fédérer les acteurs de la culture lors de manifestations d’envergure comme l’Année Louis Pasteur (1995), ou l’Année Marcel Aymé (1997), aménager une salle du Trésor pour mettre en valeur les ouvrages les plus rares…
L’association des Amis de la bibliothèque et des Archives est créée en 1972, elle joue un rôle de soutien auprès de la conservatrice de la bibliothèque et de l’archiviste.

L’hôtel-Dieu en 1996, après restauration des façades
L’hôtel-Dieu en 1996, après restauration des façades

Le projet de création d’un lieu culturel réunissant bibliothèque et archives municipales a été voté par le conseil municipal au printemps 1989. A l’automne de la même année, Monsieur Gilbert Barbier, député-maire, a confié l’élaboration du programme à la signataire de ces lignes. Ce dernier a été validé en 1992 par une étude de faisabilité diligentée par le bureau d’ingénierie culturelle de la Cité des Sciences et de l’Industrie en collaboration avec l’Ecole d’Architecture de la Villette, pour la création d’une médiathèque à l’Hôtel-Dieu. Pourquoi un tel changement, qui engendrait le transfert de 4 km de livres ? Pour mettre en valeur le monument historique certes, mais aussi pour rendre le service public de lecture et de documentation plus accessible à tous, plus accueillant, plus polyvalent, plus vaste, plus intergénérationnel, plus multi-supports, plus protecteur en ce qui concerne les collections patrimoniales (plus de 64 000 ouvrages) et surtout plus évolutif, car ces (presque) vingt-cinq années de fonctionnement démontrent que l’institution doit s’adapter, se réinventer en permanence pour offrir des possibilités et des « réservoirs » de culture et de communication en adéquation avec les goûts et les attentes des habitants du Grand Dole.

La médiathèque de l’hôtel-Dieu a été inaugurée le 28 avril 2000, et le réseau dolois s’est renforcé en 2013 avec la transformation de la bibliothèque annexe des Mesnils-Pasteur en moderne et accueillante médiathèque Albert-Camus, tandis que la bibliothèque Mauricette-Rafin, ouverte en 1992 en même temps que le centre L’Escale, s’est peu à peu agrandie en fonction du succès rencontré. Depuis 2012, c’est au niveau de la communauté d’agglomération du Grand Dole que l’on réfléchit à l’avenir des 15 bibliothèques formant un réseau élargi et solidaire dans lequel travaillent 33 professionnels et plus de 42 bénévoles.

Danielle DUCOUT
Conservatrice générale des bibliothèques honoraire
Ancienne directrice de la Bibliothèque municipale et de la Médiathèque de Dole

Pour en savoir plus :
Danielle DUCOUT, La Bibliothèque municipale de Dole et ses richesses. In : Société d’émulation du Jura, Travaux présentés par les membres de la Société en 1977 et 1978, Lons-le-Saunier, 1979. p. 347-363, ill.

Danielle DUCOUT, Dole : Bibliothèque municipale. In : Patrimoine des Bibliothèques de France. Un guide des régions. Volume 4 : Alsace, Franche-Comté, Paris, Payot, 1995. p. 64-79, ill.

Danielle DUCOUT, Le long cheminement de la médiathèque : l’outil et ses perspectives à l’aube du XXIe siècle. In : L’homme souffrant. Cahiers dolois, n°16 (2000), p.475-494

Jean-Louis LANGROGNET, Jacky THEUROT, Danielle DUCOUT, et al., Le couvent des Cordeliers. Carnets dolois n°9-10 (décembre 2015)

Danielle DUCOUT, La bibliothèque des Cordeliers de Dole au temps de Colette de Corbie. In : Sainte Colette et sa postérité. Editions franciscaines, 2016

Danielle DUCOUT, La création de la bibliothèque municipale. In : Dole sous la Révolution. Cahiers dolois n°8 (1989)

Annie GAY, La correspondance de Jean Joseph Pallu, bibliothécaire de la Ville de Dole de 1820 à 1864, In : Société d’émulation du Jura, Travaux… 1994.

Gilbert GIBOUDEAU et al., Collège de l’Arc, 4e centenaire, Arbois, 1982.

Jean-Louis LANGROGNET et al., Les toiles du peintre Emmanuel Jodelet à l’Ecole Wilson. Carnets dolois n°1
(janvier 2013)

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