Conférence du mardi 8 mars 2022
18 h, salle Casimir de Persan, Médiathèque de l’Hôtel-Dieu
A comme Arlay, A comme Arenberg
La survivance des possessions de la famille des Chalon-Arlay au sein d’une famille princière du Saint-Empire romain germanique au XIXème siècle.
par le Comte et la Comtesse Alain de Laguiche
La Fondation d’Arenberg a 50 ans, un livre double a été publié sur « La Maison d’Arenberg en France ».
La Fondation d’Arenberg est riche au sens de ce qu’elle fait : des publications, des expositions, des bourses pour étudiants, de l’aide à la conservation d’archives privées.
À cette occasion, l’association « Les Amis de la Médiathèque de Dole » a fait don à la Médiathèque de Dole de l’ouvrage « La Maison d’Arenberg en France » publié par la fondation d’Arenberg de Bruxelles.
Mr et Mme de Laguiche ne se présentent pas comme des conférenciers, ni des historiens, mais comme des amoureux d’Arlay et de son château qui nous en content l’histoire en dialogue.
Arlay
La propriété d’Arlay existe dès le Haut-Moyen-âge (IXe siècle) et depuis elle n’a jamais été ni achetée, ni vendue, mais a toujours été transmise dans la famille : son patrimoine composé de l’ancien château-fort, du château XVIIIème siècle et du domaine viticole est donc authentique. Le château est inséparable de son vignoble : les Chalon ont organisé l’activité viticole au milieu du XIIIème siècle.
Chalon, Lauragais, Arenberg, les noms changent quand la transmission se fait par une fille. La grande histoire se divise en trois périodes, d’où les trois têtes, orange, bleue, verte :
– orange pour les Chalon Arlay, princes d’Orange,
– bleue pour la comtesse de Lauragais qui, au XVIIIème siècle, hérite de la forteresse dont elle consolide les vestiges,
– verte pour Pierre d’Arenberg, le petit-fils de la comtesse de Lauragais, qui reprend la propriété de sa grand-mère, abîmée pendant la Révolution.
Il faut se souvenir que jusqu’en 1678, le Comté de Bourgogne (aussi dit Franche-Comté), bien que francophone, faisait partie du Saint-Empire Romain Germanique, avec des comte(sse)s dit(e)s palatin(e)s (= du Palais impérial). Ses pires ennemis étaient alors les Français.
Les Chalon-Arlay
Les Chalon-Arlay étaient si puissants que les comtes de Bourgogne en avaient peur. Leurs châteaux étaient alors plus beaux que le Palais des ducs de Bourgogne à Dijon. Ils possèdent plusieurs châteaux en Comté de Bourgogne (Nozeroy…), mais aussi en France (Langeais, Quiberon, Gigondas…), en Bretagne (un Charlon-Arlay était le parrain de la duchesse Anne de Bretagne).
En 1678, Arlay est démembré par les Français, (légende ou vérité de l’épisode avec Lacuzon, qui, déguisé en moine, aurait fait entrer, par une petite porte du Bourg-Dessus, les Comtois qui massacrèrent les Français du roi Louis XIV).
Des Chalon au Nassau
Philibert de Chalon-Arlay est mort jeune, sans enfant, c’est la fin de la lignée directe des Chalon-Arlay.
René de Nassau (Reinier van Nassau-Breda), devenu René de Chalon, neveu de Philibert, reprend tous les biens de son oncle. Mais il meurt sans enfant vivant, en 1544.
Guillaume 1er de Nassau dit le Taciturne ou le Silencieux (1533/1584) est le premier Stathouder des Pays-Bas indépendants (Hollande, Zélande, Utrecht et Frise). En 1544, il succède à son cousin et devient aussi Prince d’Orange et comte de Nassau-Dillenbourg. Ancêtre de la maison d’Orange-Nassau, qui règne sur les Pays-Bas depuis 1815, après avoir joué un rôle essentiel dans l’histoire des Provinces-Unies au XVIe siècle.
Il s’est marié trois fois et a eu 15 enfants. La comtesse de Lauragais descend de sa troisième épouse Charlotte de Bourbon-Montpensier (1546/82) qui a eu 6 filles.
Il réclame une dot qui doit revenir aux Nassau, il fait des procès, mais les Nassau sont vaincus et les terres sont propriétés des Pays-Bas. La situation a été figée par Louis XIV. Cette famille a eu de nombreux descendants, y compris un roi de Prusse…
Le maréchal-duc d’Isenghien est un meneur de procès contre les Nassau. En 1730, il a la primauté pour la reprise des biens dont va hériter sa nièce la comtesse de Lauragais après une longue et scabreuse saga. Elle hérite des terres, des biens, mais pas de titres.
La famille actuellement régnante aux Pays-Bas est depuis 1813, celle des « Orange-Nassau ».
La comtesse de Lauragais
La comtesse de Lauragais, femme très riche, hérite, en 1873 de ce château médiéval entouré de 800 m de remparts, qui occupe la moitié de la surface de la colline d’Arlay. Le style du château-fort est anglo-saxon, le village du Bourg-Dessus était fortifié, en subsistent aujourd’hui, deux énormes tours éventrées.
La comtesse rachète 8 ha de la colline faisant face au nord ainsi que le couvent des Minimes (des Franciscains) avec son église qui existent depuis 1650. N’y demeuraient plus que quelques moines qui sont brouillés avec le curé de l’église du village, celle dédiée à Saint-Claude, qui se trouve alors dans le Bourg-Dessus. La comtesse peut racheter grâce au droit de préemption. Un descriptif a été fait pour évaluer la valeur du bien.
Les travaux commencent un an avant la construction des Salines d’Arc-et-Senans (1775/79). La comtesse de Lauragais qui a beaucoup de moyens, utilise la base du couvent pour construire un nouveau château type palais classique de Claude-Nicolas Ledoux. C’est un gros chantier en Franche-Comté : s’y ajoutent deux pavillons pour les communs, un parc préromantique aménagé dans l’ancien village du Bourg-Dessus, avec intégration des remparts (et non des ruines fabriquées). On y trouve des arbres, des bosquets à l’anglaise et des allées à la française : c’est une harmonie Moyen-âge/ XVIIIème siècle. Une citerne gallo-romaine se trouve dans le château ancien. Les travaux sont terminés en 1783.
La vie de Mme de Lauragais à Arlay a beaucoup d’éclat : elle arrive avec une voiture tirée par huit chevaux : du jamais vu, et même du jamais imaginé. Les gens d’Arlay l’apprécient : ses travaux ont donné du travail, elle a fait vivre autour d’elle : transporteurs, maçons, charpentiers, tapissiers, stucateurs, etc… Mais « Dumas le Rouge » se venge d’elle : elle est guillotinée avec son personnel. La maison est protégée du séquestre et son régisseur monte la garde en occupant le lieu jusqu’au moment où arrive Pierre d’Arenberg, petit-fils de la comtesse de Lauragais.
Arenberg
Pierre d’Arenberg, originaire de Cologne, est naturalisé français après la Révolution française. Il appartient à la branche allemande des Arenberg. Il est militaire et participe à des campagnes napoléoniennes : les guerres d’Espagne et celle de Russie.
De sa grand-mère maternelle, Mme de Lauragais, il hérite d’un gros patrimoine : Arlay, de 4 000 à 5 000 hectares, dans le Doubs, le Jura et la Bresse, de beaucoup de forêts, lacs et vignes : il est le premier contribuable foncier comtois. Il prend aussi possession d’autres biens ailleurs : dans le Nord, en Berry (Ménétou-Salon avec château, colombier, parc et vignoble, etc…).
Pierre d’Arenberg préfère Arlay au centre de ses diverses propriétés mais il trouve la propriété figée. Il la modifie au goût du XIXème siècle (le Arlay d’aujourd’hui) : grande pelouse, allée de Tilleuls, consolidation des remparts, terrassements pour rendre l’accès à la colline plus facile. Il fait appel à des artisans et artistes locaux, par exemple Alexis Répécaud, ébéniste de Poligny, pour les boiseries de la chambre de la princesse d’Arenberg, de la bibliothèque, un lit « à la girafe » (après l’arrivée en France, en 1827, de «Zarafa» la girafe offerte à Charles X par Méhémet Ali, vice-roi en Égypte ottomane).
Arenberg a le caractère austère des germaniques, il mène une vie sociale aristocratique peu ouverte à la bourgeoisie comme celle des maîtres de forges. Mais le décor des maisons des maîtres de forges l’inspire : il fait installer des décorations en brocatelle de pierres jurassiennes (voir, – ci-dessus, photo chambre du prince d’Arenberg avec cheminée en brocatelle – ci-après diverses brocatelles jurassiennes et diverses utilisations de brocatelles).
Il adapte l’ancien droit féodal ayant cours, au nouveau droit napoléonien. Les droits féodaux étaient nombreux, exemple de droits d’usage en forêt : – chasse au gros gibier – chasse aux lapins – droit de glandée (paisson des porcs) – droit d’utiliser du bois mort – droit d’affouage (bois pour se chauffer) – etc…, tous ses droits s’additionnaient sur une même surface. Pierre d’Arenberg les réunit sous un seul droit.
De 1822 à 1848, Pierre d’Arenberg est en procès contre 25 communes proches de la forêt de Haute-Joux au sujet du cantonnement de 1819. Si d’un côté, il abandonne certains de ses droits aux communes, d’un autre côté il peut effectuer un remembrement familial comme par exemple à Nozeroy. Pierre d’Arenberg prend la direction de toutes ses propriétés avec régisseurs, comptables, etc…. Son organisation est précise et il donne des ordres, il s’intéresse à tout même au plus simple. Il a mis en place un modèle de gestion de grande propriété.
Le XIXème siècle est gardé comme figé par les trois générations d’Arenberg.
Au début du XXème siècle sont installées l’adduction d’eau, l’électricité, la téléphonie. La vie se passe plutôt à l’étage, les pièces du rez-de-chaussée restent telles quelles, elles servent pour les affaires.
Auguste d’Arenberg (1837/1924) succède à son père Pierre.

Auguste est peu intéressé par Arlay et préfère le château de Ménétou-Salon. Auguste d’Arenberg est un grand patron : président de la Compagnie maritime du canal de Suez. Il s’occupe du chantier et va chercher des fonds dans sa belle-famille. Le second duc français d’Arenberg tire les revenus d’Arlay tenu par un régisseur.
Arlay s’endort…
Ernest d’Arenberg, le quatrième enfant d’Auguste reprend Arlay et réaménage l’intérieur du château jusqu’en 1914. A cette date, il s’enrôle dans la 1ère Guerre mondiale. Sous-lieutenant en 1915, il est blessé et décédera de la gangrène.
Arlay aujourd’hui
Louise d’Arenberg (1872-1924), 3ème enfant d’Auguste et sœur d’Ernest d’Arenberg, devient l’héritière. Elle se marie en 1892 avec Louis, marquis de Vogüé. Ils ont 9 enfants. Ils reprennent Arlay, mais sans passion et restent à La Verrerie (Cher). L’un de leurs fils, Robert de Vogüé s’intéresse au Champagne Moët & Chandon et sera président de cette maison.
Alix Jeanne Marie d’Arenberg (dite « Lily », 1869-1924), sœur de Louise d’Arenberg, devient l’héritière. Elle épouse son cousin germain, Pierre Adolphe de Laguiche (1859-1940), polytechnicien de l’X 1879, officier d’artillerie, général de division, commandeur de la Légion d’honneur.
Leur petit-fils, Alain de Laguiche et son épouse, Anne de Chabot, ont 4 enfants : Pierre-Armand, Adélaïde Hélène et Geoffroy. Pierre-Armand va continuer à Arlay, il est actuellement « apprenti vigneron » comme le dit son père.
Filles et gendres, les Laguiche font d’Arlay une vraie résidence et sont enterrés ici.
Compléments historique sur le site du château d’Arlay et article complété de notes de bas de page ci-dessous.
Article sur le château d'Arlay (4,5 MiB)
Conférence tout à fait passionnante pour les Dolois.
Les Chalon sont souvent loin de la pensée des Comtois et c’est dommage.
Nos conférenciers ont été vraiment intéressants, au coeur de la connaissance du sujet et l’ambiance était simple et amicale.
Un souhait: visiter Arlay avec eux.